Les aventuriers
« On est venus par le désert et l’eau, pas par visa »
Le collectif Invisibles aventuriers, animé par Sara Domenach et l’association Parcours, donne la parole aux jeunes issus de l’immigration à Paris. À travers différents medium artistique, il s’agit de leur fournir les moyens de raconter leur propre histoire. Leur implication à toutes les étapes de la création dans divers projets est essentielle pour aboutir à des créations, fruit d’un patient travail largement inspiré par les sciences humaines et sociales.
Les oeuvres produites ont pris différentes formes: des albums réunissant photos et textes individuels, des installations, une fresque mobile de 40 m de long, déployée dans l’espace public lors d’événements pendant deux ans... Depuis 2020, le collectif – aux frontières sans cesse re-questionné et réinventé – a investi l’espace public de manière pérenne par la création de peintures murales.
Fresque mobile, 1,5 x 20 mètres 2015_2017, support collectif sur lequel les invisibles aventuriers marquent leur parcours de vie sous la forme d'autoportraits,expo EHESS (École des hautes études en sciences sociales).
Faire quelque chose pour soi, performance, EHESS, Siacool et Sara, 2017.
A travers la figure de l’homme venu de loin qui danse pour arriver jusqu’à nous, le sujet devient acteur, son désir d’aventure devient comme une quête de lui-même.
La route, carte réalisée par Kabou, Diery, Ladji, Lili. 2018, encre sur papier, 300 x 400 cm
Préparation d’une carte. Pour chaque performance dansée de Siaka, la carte marouflée au sol se déchire sous ses pieds.
Ils sont venus par "la route", ont traversé le désert, la Méditerranée, "sauté le grillage" à Mélilla, ou passé Gibraltar sur une frêle embarcation. D'autres sont passés par la Libye, cachés dans des camions. Ils se nomment "aventuriers", ce sont les héros invisibles que je côtoie à Paris.
J'ai rencontré Kaou en juin 2015. A l'automne de cette année nous avons entrepris le récit de sa vie avec Malle, son cousin qui endossait le rôle d'interprète.
Kaou a 33 ans. Il est arrivé en France en novembre 2014, après un voyage « par la terre » de plus d’un an. Né à Bilajdimy, dans la région du Diafounou, près de Kayes au Mali, il est le deuxième garçon d’une fratrie de cinq. À 7 ans, il part à l’école coranique dans le grand village de Yaguiné chez l’imam Bathe Cisse (...).
Dans sa famille, plusieurs figures masculines sont venues travailler en France, dont son père et son oncle, qui reviennent au village chaque année. Son frère Almany et sa sœur sont partis en Angola, tandis qu’un autre de ses oncles a gagné le Brésil.
Mr Toure, comme il aime se faire appeler se trouve à droite du tableau. Né en 1990, il a grandi au village de Yaguiné au Mali et vit aujourd’hui à Saint Denis. Il travaille comme peintre en bâtiment depuis son arrivée en France. Enfant, il était berger : « il connait la brousse et sait courir vite », ce qui lui servira pendant son voyage. Celui-ci commence en 2010 : décidé à mieux gagner sa vie que ce que l’existence de berger permet, il quitte son village pour Abidjan, où il travaille comme libraire pour son beau-frère pendant trois ans. Il fait des économies et décide de se lancer sur la route de l’Europe en janvier 2013. Une semaine lui sera nécessaire pour rejoindre Adrar en Algérie, une des villes carrefour pour les migrants sub-sahariens. Par hasard, Il y retrouve un ami originaire du même village que lui, Gackou. Ils travaillent pour le même patron et étudient la suite du trajet avec des gens sur place. (...)
Bofafree! (victoire pour ceux qui ont passé le grillage de Melilla ou Ceuta) 50 x 70 cm, encre sur papier